De la prestigieuse académie de l’Inter Milan au Panserraikos (D2 Grecque), Said Ahmed Said (30 ans) est revenu sur sa riche carrière pour Africafoot. L’occasion aussi d’évoquer avec lui l’évolution du football moderne.
Tu es né au Ghana, puis tu es arrivé très jeune en Italie. Comment as-tu découvert le football ?
D’abord au Ghana. Je jouais tout le temps au foot, tout le monde joue au foot là-bas. Ensuite, quand je suis arrivé en Italie, mes parents m’ont inscrit dans un club.
Tu as passé plusieurs années au centre de formation de l’Inter Milan, puis celui du Genoa. Comment c’était ?
C’était une expérience fantastique. J’ai passé 8 ans à l’Inter Milan, presque toute mon enfance, qui est l’un des meilleurs centres de formation d’Italie, et même d’Europe. C’était difficile, il y avait beaucoup de concurrence. Par exemple, sur tous les joueurs avec lesquels j’ai débuté, nous ne sommes que 3 à avoir atteint les U17.
Sans me vanter, j’étais parmi les meilleurs à l’époque, donc j’ai eu la chance de poursuivre ma formation à l’Inter. Ensuite, j’ai passé une année au centre de formation du Genoa, un autre poids lourd en Italie.
Est-ce que tu penses que le style de jeu “à l’italienne” t’a aidé pour la suite de ta carrière ?
C’est certain. En Italie, on met l’accent sur l’éducation tactique. La technique est importante… mais la tactique l’est encore plus. Et dans de grands clubs comme l’Inter Milan, il y a de très bons entraîneurs, même chez les jeunes. J’ai eu la chance d’être bien entouré à ce niveau-là.
Tu évolues au poste d’attaquant. Pourquoi ce choix et peux-tu nous parler de ton style de jeu ?
Tout simplement parce que j’ai débuté en attaque quand j’étais jeune, j’ai marqué beaucoup de buts, donc j’ai continué en numéro 9. Dans ma carrière, j’ai aussi joué en tant qu’ailier, et même en numéro 10. Je suis un attaquant costaud (1m84), rapide et avec un bon pied gauche. Je dirais que j’ai une bonne vision de jeu et surtout une bonne frappe, c’est pour ça que je préfère jouer en pointe.
Qui était ton modèle étant plus jeune ?
Adriano. Il était incroyable, il savait tout faire. Bien sûr, c’est aussi parce que je regardais beaucoup de matchs de l’Inter. J’ai aussi eu la chance d’être ramasseur de balle à Giuseppe-Meazza. C’était une opportunité incroyable et j’ai pu voir toutes les immenses stars de l’époque : Adriano, Ibrahimovic, Crespo, Milito, Figo, Vieira… Après en grandissant, j’étais un grand fan de Cristiano Ronaldo aussi.
Quel joueur t’a le plus impressionné, comme coéquipier ou adversaire ?
J’ai beaucoup voyagé durant ma carrière, donc j’ai affronté de très bons joueurs que peu de gens connaissent. Mais quand j’étais en Croatie, au Hajduk Split, il y a un joueur qui m’a vraiment bluffé. Je me suis dit : “Lui, ce sera l’un des meilleurs milieux du monde”. C’est Lovro Majer (25 ans), qui évolue au Stade Rennais aujourd’hui.
Et avec quel joueur aurais-tu rêvé de jouer ?
Je vais dire quelqu’un de ma génération… Kevin De Bruyne (32 ans, Manchester City). Avec lui, j’aurais marqué des centaines de buts. Il a une vision de jeu incroyable et c’est un joueur très intelligent. Disons que j’aimerais bien être à la place de Haaland (rire).
Tu es arrivé en Croatie l’été dernier, au Panserraikos. Peux-tu me raconter un peu ta saison ?
Oui, je suis arrivé il y a un an, dans une équipe qui avait pour ambition de remonter en première division grecque. On peut dire que la saison est réussie puisque cet objectif a été atteint. Ma saison personnelle a été très bonne aussi, j’ai terminé meilleur buteur (8 buts et 2 passes décisives en championnat) et j’ai pu aider le club à remonter.
Quels sont tes objectifs pour la saison prochaine ?
J’aimerais bien jouer en D1 grecque, mais pour l’instant je ne sais pas. On discute d’une prolongation de contrat avec le club. Si je dois changer de pays ce n’est pas un problème, j’ai déjà beaucoup voyagé dans ma carrière et j’aime bien découvrir de nouveaux horizons. Dans l’idéal, je veux rejoindre un club qui se bat pour gagner des titres. Mais seul l’avenir nous le dira…
Quel est ton rêve dans le football ?
Disputer la Coupe du monde avec le Ghana, mon pays natal (j’ai représenté l’Italie en U19). J’ai suivi tous les matchs des Black Stars lors de la dernière Coupe du monde au Qatar. C’était un beau parcours, même si on aurait pu faire un peu mieux. J’adorerais aussi jouer la Ligue des champions.
J’aimerais avoir ton avis sur l’évolution du football. Il y a de plus en plus d’argent en jeu, et souvent pour de très jeunes joueurs. Qu’en penses-tu ?
Avoir plus d’argent dans le football c’est une bonne chose. Mais c’est aussi un peu délicat. Le problème, c’est que les clubs sont focalisés sur la rentabilité, plus que sur le développement des joueurs. Les jeunes se retrouvent sous pression et ils n’ont plus le droit à l’erreur. Ils doivent être prêts immédiatement et je trouve que c’est une erreur. À mon époque, les clubs étaient plus patients et mes erreurs m’ont beaucoup aidé à me construire.
Mais les propriétaires des clubs ont changé, ils veulent des business rentables. Ils ne vont plus au stade pour supporter leur équipe de cœur, ils dirigent leur “entreprise” à distance. L’objectif n’est plus de développer un joueur pour en faire la future star de son club, mais de le revendre à bon prix pour faire tourner le business.
Penses-tu que c’est plus difficile de faire son trou maintenant, qu’à tes débuts ?
C’est différent, je pense. Aujourd’hui, si tu as la chance de faire tes débuts dans un grand championnat et de te faire remarquer, ta vie peut totalement changer. Moi, à mes débuts, j’ai eu la chance grâce à Dieu de disputer des matchs et de marquer des buts en Serie A avec le Genoa. Mais la saison suivante, j’étais envoyé en D3 italienne pour poursuivre ma formation. Dans le football moderne, j’aurais sûrement une trajectoire très différente.
Concernant le mercato, as-tu ton mot à dire dans les négociations avec les clubs ? Pour le salaire par exemple ?
Non, c’est mon agent qui s’occupe de tout. Il négocie les détails du contrat avec le club, et ensuite c’est à moi d’accepter ou non. Mais je ne fixe pas moi-même mon salaire ou les clauses.
La valeur marchande des joueurs est plus importante qu’auparavant, en es-tu conscient ? Regardes-tu l’évolution de ta valeur sur les sites spécialisés, comme Transfermarkt par exemple ?
C’est vrai que la valeur marchande d’un joueur est importante, surtout pour les clubs. Personnellement, non, je ne regarde pas trop les chiffres. Peut-être plus quand j’étais jeune, par curiosité.
Et concernant l’importance des données dans le football moderne. Accordes-tu beaucoup d’attention à tes statistiques (buts, passes décisives…) ?
Bien sûr, c’est important. Surtout pour un buteur. Mais j’essaie aussi de garder une forme de naturel dans ma façon de jouer. C’est important de connaître ses forces et ses faiblesses, mais aussi de les travailler sur le terrain.
Un mot également sur le racisme, l’un des fléaux du football moderne. Est-ce que tu en as souffert durant ta carrière ? Et constates-tu une différence en fonction des pays, après avoir joué en Italie, au Portugal, en Croatie, en Grèce ?
J’y ai été confronté, mais assez rarement heureusement. En général, j’essaie de faire abstraction de ces gens. Ces ignorants. J’ai vécu plus d’incidents au Portugal ou en Croatie, mais le racisme reste un problème global. Beaucoup de mes coéquipiers en ont souffert.
J’espère que les choses pourront changer. Pour moi, il faut moins de tolérance de la part des instances. Il faut bannir à vie les supporters coupables d’insultes racistes. Je pense aussi que les joueurs les plus connus, qui ont une voix qui compte, peuvent faire bouger les choses. En refusant de jouer 2 ou 3 matchs, par exemple, ils pourraient faire prendre conscience du problème à beaucoup de monde. Mais ce n’est pas toujours si simple avec les contrats, etc.
Pour finir, si tu avais un conseil à donner aux jeunes qui rêvent de devenir footballeurs ?
Être toujours concentré et déterminé. Se fixer un but et tout faire pour l’atteindre. En travaillant dur et en croyant en ses rêves, tout est possible dans la vie. L’aspect mental est le plus important dans le football. Il est également très important de s’entourer des bonnes personnes. C’est le problème de certains joueurs, même s’ils ont énormément de talent.